Les Dieux nationaux du Japon
de Jean Herbert .
Extrait (p. 41-43) : LES STADES PRE-MATERIELS DE LA CREATION (fin)
. . . (La création et l'évolution de l'Univers) que nous présente le Kojiki me paraît l'une des plus plausibles et des plus conséquentes, même si l'on se place à un point de vue rationaliste. La première section, celle que nous avons examinée dans ce chapitre, traite des phases préparatoires qui ont dû se dérouler avant que puisse apparaître la matière telle que nous la connaissons. On peut la résumer comme suit :
. . . 1° A l'origine, il y eut un état qui a précédé " le commencement du Ciel et de la Terre ", où, comme le disent les Ecritures hindoues, il n'y avait ni existence ni non-existence - ce qui dans l'Hindouisme correspond au nirguna Brahman. C'est peut-être ce que le Nihongi appelle le Vide (sora).
. . . 2° " Lorsque commencèrent le Ciel et la Terre ", la première entité qui apparut fut Ame-no-minaka-nushi, le " Maître de l'auguste Centre du Ciel ", c'est-à-dire le centre autour duquel le Ciel s'est constitué. C'est ce que l'Hindouisme appelle le saguna Brahman.
. . . 3° " Ensuite " apparut la Dualité primordiale : le Haut et auguste Kami merveilleux qui produit et le Divin Kami merveilleux qui produit, Taka-mi-musubi et Kami-musubi. A eux deux, ils constituent le germe de toutes les dualités - et par conséquent de toutes les multiplicités - dans l'univers. Cela implique naturellement une potentialité de croissance et de développement.
. . . 4° Cette potentialité se manifeste tout d'abord dans cet " objet " dont la forme " ne peut pas être décrite " parce qu'il n'est pas matériel, et qui " bourgeonna comme une pousse de roseau ".
. . . 5° Cette première manifestation - encore immatérielle - ne peut se poursuivre que si elle est guidée par une Volonté, une Force, une Energie ou, en termes de Shintô, un Kami. C'est la tâche d'Umashi-ashi-kabi-hiko-ji, le Prince ancien de l'agréable pousse de roseau, qui apparaît immédiatement après.
. . . 6° Cette possibilité de croissance dirigée conduit alors à une sorte de division du travail : un Kami (Ame-no-toko-tachi, le Kami qui réside éternellement dans le Ciel) se chargeant de l'évolution qui n'intéresse que le monde céleste, et un autre (Kuni-no-toko-tachi, le Kami qui réside éternellement sur la Terre) se chargeant de l'évolution qui aboutira finalement à l'apparition de la Terre. C'est à ce point que les potentialités d'un monde céleste et celles d'un monde terrestre se séparent les unes des autres.
. . . 7° Avant que puisse s'opérer la suite de l'évolution, désormais diversifiée, et afin qu'elle puisse se réaliser de façon ordonnée et cohérente, il faut qu'apparaisse une force d'intégration. C'est Toyo-kumu-nu, le Maître-kami qui intègre la [croissance] luxuriante.
. . . Jusqu'ici, avec les Kami qui sont " nés seuls " et ont " caché leur personne ", la Genèse shintô semble avoir traité à la fois du Ciel et de la Terre. Le premier, qui n'est pas composé de matière grossière, ne nécessite plus d'intervention pour le former ; on peut considérer qu'il est parvenu à son état définitif. Mais il reste encore beaucoup à faire pour achever la réalisation matérielle de la Terre. Cette tâche, qui a déjà été commencée par les deux derniers Kami énumérés ici, est poursuivie par les dix suivants. Ensemble ils forment les Sept générations divines [de Créateurs ou d'Ancêtres du Monde terrestre], tenjin-shichidaï ou kamiyo-nanayo.
. . . 8° Le premier principe spécifique qui vienne à l'existence est celui de la Matière. On le voit apparaître en deux phases successives : encore à l'état visqueux (Uhi-ji-ni, première boue), puis à l'état mi-liquide, mi-solide (Suhi-ji-ni, boue et sable).
. . . 9° Le deuxième principe spécifique est celui de la Vie, également en deux phases successives : le germe (Tsunu-guhi) et la vie embryonnaire (Iku-guhi).
. . . 10° Le troisième principe spécifique est celui de la bi-sexualité (O-to-no-ji et O-to-no-be), qui va permettre la reproduction et la continuation des espèces à venir.
. . . 11° On peut considérer que les deux Kami suivants représentent la perception sensorielle, c'est-à-dire la possibilité de rapports entre êtres matériels, dernier facteur nécessaire avant que ne puisse venir à l'existence le monde tel que nous le connaissons. Dans cette hypothèse Omo-daru (Parfait extérieur) représente l'objet de la perception et Aya-kashiko-ne (Ô terrible !) le sujet percevant.
. . . 12° Enfin, toutes conditions préalables étant maintenant remplies, viennent Izanagi et Izanami, qui engendreront le monde véritablement matériel. C'est ce que nous étudierons dans le chapitre suivant.
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