Traité des cinq roues : Gorin-no-sho
de Miyamoto Musashi

Quatrième de couverture :
    Au XVIe siècle, Miyamoto Musashi, samouraï invaincu par une vie de combats, maître ès armes et esprit de nombreux disciples, se retire dans une grotte quelques mois avant sa mort et rédige ce classique de la littérature universelle : Traité des Cinq Roues.
    Ce guerrier nous donne en un texte lumineux l'essence des arts martiaux et le secret d'une stratégie victorieuse qui transcende la violence et devient art de vivre et d'agir. Attitude qui explique aujourd'hui les raisons des succès japonais dans tous les domaines.
    Une leçon à méditer et à pratiquer: car l'esprit de l'art de l'épée peut s'appliquer à tous les gestes de la vie quotidienne.

Extrait : Vie de Musashi
    Musashi naquit en 1584 dans la province Harima (préfecture actuelle de Hyôgo). On était encore en pleines guerres civiles (celles-ci se déroulèrent de 1490 à 1600). A ce moment, le shogun Toyotomi Hideyoshi s'employait à unifier le Japon. Pour les lecteurs européens nous situerons plus précisement cette époque en disant qu'en 1543 des Portugais introduisaient des armes à feu au Japon et que saint François Xavier prenait un premier contact avec la terre japonaise le 15 août 1549. Ainsi Musashi naquit à une période des plus importantes de l'histoire du Japon. Son grand-père était un très bon escrimeur et son seigneur Shimmen Iganokami, en récompense, lui permit de porter son nom de famille. C'est pourquoi Musashi a signé ce livre (« Traité des Cinq Roues ») du nom de Shimmen Musashi. Le père de Musashi s'appelait Munisai. Pour des raisons obscures, peut-être à cause de la jalousie qu'il avait suscitée autour de lui, il s'éloigna de l'entourage du seigneur Shimmen et se retira dans le village de Miyamoto-mura situé aux alentours. Il semble que Musashi y soit né et ce serait là l'origine du surnom qui lui fut donné : Miyamoto Musashi.
    Il avait 7 ans lorsque son père mourut. Nous connaissons mal la première enfance de Musashi. Selon une légende qui semble sans fondement, Musashi se serait moqué de son père escrimeur et aurait fini par l'impatienter. Ainsi, un jour que Munisai était occupé à se tailler un cure-dent, à bout de patience il lança son couteau en direction de Musashi qui l'esquiva de la tête. Encore plus furieux, Munisai aurait lancé une seconde fois son couteau en direction de son fils. Mais Musashi sut l'esquiver à nouveau. Hors de lui, Munisai l'aurait chassé de son foyer et Musashi aurait été recueilli par un monastère auquel appartenait son oncle moine, frère de sa mère. Nous n'avons aucune preuve de la véracité de tout ceci. Toutefois cela nous montre bien que Musashi, dès son enfance, devait avoir un caractère indomptable. Les évènements que nous venons de relater se seraient déroulés alors que Musashi n'avait que 9 ans.
    A l'âge de 13 ans il livra son premier combat contre Arima Kihê (1596). Cette année-là le shôgun Toyotomi Hideyoshi envoyait pour la seconde fois une armée en Corée. Le Japon était en état de guerre et l'escrime y était très en vogue dans l'atmosphère de brutalités qui régnait. Dans cette ambiance il n'est donc pas étonnant qu'un enfant parmi tant d'autres ait eu un caractère bagarreur. Une autre tradition veut que bien qu'il n'eut alors que 13 ans, il ait paru en avoir 16 ou 17. Arima Kihê était un expert au maniement de la lance et du sabre. Dès le premier instant leur combat fut un corps à corps. Musashi avait saisi Kihê et l'avait projeté à terre. Au moment où Kihê s'apprêtait à se relever, Musashi le frappa avec un baton. Kihê cracha du sang et mourut.
    Musashi avait 15 ans lorsque mourut le shôgun Toyotomi Hideyoshi. Au lieu de soutenir la légitimité du fils de ce dernier, Tokugawa Ieyasu manoeuvra pour s'emparer du pouvoir shôgunal. Ce fut l'origine de la bataille de Sekigahara (1600) et de la division du Japon en deux camps. (Voir: « Histoire du Japon des Origines à nos Jours », par Roger Bersihand (Paris, Payot), page 187 et suivantes.) Musashi n'avait alors que 17 ans et le Niten-ki ne lui consacre qu'une seule ligne au moment de cette bataille : « L'action de Musashi était plus vive que celle des autres. Tous les militaires le connaissent. » Grâce à leur victoire, les Tokugawa prirent le pouvoir en 1603 et installèrent deux ans plus tard leur nouvelle capitale shôgunale à Edo (actuelle Tokyo). Musashi avait alors 20 ans.
    A 21 ans, il livrait l'un de ses plus fameux combats dans la banlieue nord de Kyoto. Ses adversaires appartenaient à la famille Yoshioka, dont il combattit successivement trois membres. Les Yoshioka avaient été traditionnellement les maîtres d'armes de la famille shogunale Ashikaga qui détint le pouvoir de 1338 à 1573. Le premier combat qu'il mena contre eux l'opposa à Yoshioka Seijuro, armé d'un véritable sabre, tandis que lui, Musashi n'avait qu'une sorte de sabre en bois. Musashi ne frappa qu'un seul coup et Seijuro s'écroula. Musashi l'abandonna. Les élèves de Seijuro le placèrent sur une civière de fortune et le ramenèrent chez lui pour le soigner. Il recouvra sa santé, mais, humilié, il abandonna complètement son métier et rasa désormais sa chevelure.
    Furieux, Denshichiro, jeune frère de Seijuro, provoqua Musashi en duel. Denshichiro était de stature imposante et combattait avec un long sabre. Tout d'abord Musashi retarda volontairement son arrivée au combat, prévoyant ainsi une certaine irritation chez son adversaire. Très vite Musashi désarma la main ennemie et abattit d'un coup Denshichiro qui, ayant le crâne défoncé, mourut sur le coup.
    Dans son troisième duel l'opposant à la famille Yoshioka, il eut pour adversaire le propre fils de Seijuro, Matashichiro, accompagné de plusieurs de ses élèves. Selon le Niten-ki, Musashi, à la fin de sa vie, aurait laissé apparaître un peu de sa psychologie au moment crucial de ce troisième duel : « Il est vraiment difficile de maintenir sa position face aux évènements », dit Musashi en commençant d'évoquer ses souvenirs : « Une certaine année, je m'étais engagé dans un duel contre Yoshioka Matashichiro sous les pins de Ichijôji-mura dans la banlieue nord de Kyoto. Auparavant l'un de mes élèves vint me dire :
    « Pour Matashichiro vous êtes l'ennemi de son père et de son oncle. J'ai appris qu'il se fera accompagner de nombreux élèves de son père afin de vous encercler. Pour vous cela se résume à aller à la mort et c'est un réel danger. Je voudrais vous accompagner et vous aider à vous défendre. »
    Musashi lui répondit : « Si l'on combat en groupe cela ressemble à un combat partisan, ce que la réglementation publique interdit formellement. Cela ne doit pas se faire. Si même un seul parmi vous m'accompagne, n'est-ce pas déjà enfreindre le règlement ? Je pense n'avoir rien à craindre des tactiques adverses.
    « Ainsi je repoussai la proposition amie. L'autre année, lors de mes duels avec son père Seijuro et son oncle Denshichiro, j'étais arrivé en retard et les ai vaincus. Mais cette fois, au contraire, je désirais arriver plus tôt. Dès le chant du coq, je marchai seul. En sortant de Kyoto, je vis un sanctuaire le long du chemin et pensai que c'était un bonheur pour moi d'avoir trouvé un sanctuaire sur ma route et qu'ainsi je pourrais prier pour ma victoire. Au pied de l'autel je m'apprêtais à tirer le cordon sacré de la cloche avant de commencer ma prière, lorsque soudain je songeai que jamais je n'avais cru en Bouddha et autres divinités. Mais tout à coup, face au danger, je me mettais à les vénérer. Comment les divinités allaient-elles prendre cela ? Ne nous ramollissons pas ! me dis-je. J'abandonnai le cordon sacré et m'éloignai vite de l'autel. La sueur de ma honte inonda mon corps jusqu'aux talons. Je me hâtai jusqu'aux pins. Il ne faisait pas encore jour, le silence était total. Je me dissimulai sous les pins. Peu de temps après Matashichiro, accompagné de quelques amis, arriva. Ils portaient tous des lanternes. Alors Matashichiro dit que cette fois encore j'allais arriver en retard. Tandis qu'ils parvenaient sous les pins je criai : « Je vous ai attendus » et je fonçai dans le tas. Stupéfait, Matashichiro tenta de tirer son sabre mais je le pourfendis. Ses compagnons, revenant peu à peu de leur surprise, passèrent à la contre-offensive soit à la lance soit en tirant des flèches sur moi. Seulement, une flèche traversa le bas de ma manche et je m'en tirai sans aucune blessure. Je fonçai sur eux et tous s'éparpillèrent en s'enfuyant en hâte. C'est ainsi que j'eus la victoire. Lorsque plus tard je venais à me souvenir de ce qui m'était arrivé en passant devant le sanctuaire je comprenais bien comme il est difficile de maintenir une position face aux évènements. »
    Musashi aimait à reproduire le précepte suivant en belle calligraphie :
    « Il faut vénérer les bouddhas et divinités. Mais ne pas compter sur eux. »

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