Les Dieux nationaux du Japon
de Jean Herbert

. . . Présentation de l'éditeur : De son volume précédent " Aux sources du Japon ; le Shintô ", qu'a couronné l'Académie Française, le Bulletin officiel de l'Ambassade du Japon à Paris disait : " Ce livre remarquable permet aux étrangers... d'approcher, voire saisir, l'essence même du Shintô, qui constitue, consciemment ou non, la base de la vie quotidienne et spirituelle des Japonais de l'époque actuelle... On peut affirmer que ce livre est une synthèse du Shintô qui n'avait jamais été réalisée jusqu'à présent, même en langue japonaise ".
. . . Après cette description riche et précise du Shintô en tant que religion, Jean Herbert nous en présente ici, avec une abondance d'épisodes pittoresques, la mythologie. Partant des Dieux primordiaux et de la Déesse du Soleil, il suit minutieusement la généalogie divine jusqu'à l'Empereur actuel. Et il y ajoute les grands hommes qui furent divinisés au cours des temps.
. . . Comme dans le volume précédent, il complète la maigre documentation fournie par les Ecritures sacrées en puisant dans les traditions des grands temples japonais où sont adorés les différents Dieux, traditions qu'il a longuement étudiées sur place avec les grands prêtres de ces temples.
. . . Dans un Appendice, l'auteur relève entre la mythologie shintô et la geste hindoue des Avatars de Vishnou, un saisissant parallélisme qu'aucun savant n'avait encore soupçonné, et qui pourrait projeter une lumière nouvelle sur le problème resté mystérieux des origines de la race japonaise.

Extrait (p. 7-18) : INTRODUCTION

. . . On trouve au Japon deux catégories de religions : d'une part des religions importées, dont les principales sont le Bouddhisme, le Confucianisme, le Taoïsme et le Christianisme, et d'autre part le Shintô, religion véritablement nationale dont la tradition fait coincider l'origine avec l'apparition même du peuple japonais et explique la création de ce peuple. Si une majorité des Japonais sont bouddhistes, si un grand nombre sont aussi teintés de confucianisme et de taoïsme et si de petites minorités d'importance variable se rattachent à d'autres religions, il n'est pas exagéré de dire néanmoins qu'à part une fraction d'une génération que l'occupation américaine a brutalement coupée de ses sources, à peu près tous les Japonais sont shintôistes.
. . . Ainsi que nous l'avons exposé dans un précédent volume (Aux sources du Japon : le Shintô, Paris, Albln Michel, 1964), le Shintô n'est pas une religion comme les autres. Totalement dépourvu de dogmes, n'ayant pour Ecritures sacrées que des textes courts, tardifs et d'interprétation difficile, n'ayant jamais codifié de règles morales, n'imposant aucun rituel, le Shintô est plutôt pour le Japonais une prise de conscience des liens qui l'unissent à ses semblables, à la Nature et à la Divinité. Et plus particulièrement de ses liens de consanguinité avec ses ancêtres divins et humains, en remontant jusqu'aux Divinités primordiales qui ont créé le monde sur des plans subtils et ont ensuite enfanté sur le plan matériel l'archipel japonais avec ses fleuves et ses montagnes, sa flore et sa faune, ainsi que ses Dieux secondaires et la race japonaise.
. . . Aussi la mythologie qui expose et explique ces rapports de famille entre l'homme et le reste de l'univers, essence même du Shintô, y revêt-elle une importance exceptionnelle. C'est elle qui fournit la clef de toute la religion et par conséquent, puisque tout Japonais est, consciemment ou non, profondément imprégné de Shintô, la clef du comportement japonais dans tous les domaines et dans toutes les circonstances.
. . . Dans les religions trop antiques pour avoir eu un fondateur - qui fut généralement préoccupé surtout de considérations morales ou sociales - le mythe joue un grand rôle. Dans l'Hindouisme par exemple, il est le seul moyen par lequel a pu s'exprimer la vision que de grands sages ont eue des vérités fondamentales ; c'est de lui que découlent les lois qui régissent tous les domaines, de la morale et de la discipline spirituelle à l'astronomie, de l'architecture et de la musique à la médecine (Cf. Jean Herbert, La Mythologie hindoue, son message. Paris, Albin Michel, 1953).
. . . Dans le cours du développement organique d'une religion, les rites viennent plus tard, pour maintenir dans le monde visible l'application des lois éternelles révélées par la voie du mythe, la prière devient nécessaire lorsque l'homme se sent incapable d'organiser sa vie actuelle ou future en harmonie avec ces lois si des Puissances d'en haut ne l'aident et le protègent, et enfin la philosophie intervient lorsque chez l'homme les facultés mentales ont pris un développement tel qu'elles ont plus ou moins aboli, ou tout au moins obnubilé sa capacité de garder un contact direct avec les réalités fondamentales.
. . . Dans le Shintô, la mythologie, qui se transforme lentement et progressivement en histoire, est essentiellement une généalogie, le récit de ce qu'ont fait tous les ancêtres, divins à l'origine, puis de moins en moins divins et de plus en plus humains, jusqu'à nos jours.
. . . Comme me l'affirmait récemment un éminent shintôiste : " Il est indispensable de bien se rendre compte que les mythes rapportés dans le Kojiki et le Nihongi (les deux textes sacrés principaux du Shintô) ne sont pas seulement une expression de ce que pensaient nos ancêtres, ils sont encore maintenant vivants au Japon en tant que faits historiques (M. Nishiyama). "
. . . L'influence exercée par le mythe est encore renforcée du fait qu'en matière de religion, de spiritualité, de morale, les Japonais sont nettement hostiles aux raisonnements intellectuels. U. Ashizu, " actuellement le penseur le plus influent du Jinja-honchô (Akira Nakanishi) ", écrivait : " En général, les Japonais aiment s'exprimer par le moyen du mythe, de l'histoire ou de la littérature et non par raisonnements abstraits. " Et un porte-parole des milieux les plus orthodoxes (S. Ono) le confirmait en disant : " La méthode de penser des Japonais consiste à percevoir les significations dans les phénomènes mêmes. "
. . . Aussi dans le Shintô, le raisonnement et la philosophie ne sont-ils apparus que très tardivement, à l'opposé de ce qui s'est passé dans le Judaïsme et l'Hindouisme, pour citer deux autres grandes religions que la tradition fait aussi naître avec la race qui les professe. Et jusqu'à l'arrivée au Japon du Christianisme et du matérialisme occidental, ils étaient même considérés avec la plus grande méfiance. De nos jours encore, les shintôistes soulignent avec insistance que leur plus grand théologien, Norinaga Motoöri, était un laïque et n'avait pas reçu la formation de prêtre qui seule lui aurait permis de saisir les vérités essentielles de sa religion. Lorsqu'on soumet aux shintôistes les plus qualifiés les questions que se pose normalement un Occidental désireux de comprendre, on les met visiblement dans l'embarras, car le plus souvent ils ne se les sont jamais posées et ils doivent faire un effort considérable pour en saisir le sens et l'intérêt, plus encore pour y répondre. C'est un peu comme si l'on demandait à un Européen de décrire méthodiquement dans tous leurs détails les sentiments qu'il éprouve pour sa mère ou l'évolution d'un coucher de soleil dont la vue l'a profondément ému.
. . . Les mythes, de par leur nature même, sont susceptibles d'interprétations diverses, qui peuvent toutes être valables simultanément, bien que d'importance et d'intérêt fort inégaux. On reconnaît aux versets de la Bible... plusieurs significations qui correspondent à des degrés divers d'ésotérisme ou d'intériorisation ; on dit que chaque verset du Rig-Veda peut être compris de 32 façons différentes, dont chacune correspond à l'une des 32 sciences traditionnelles. Je crois que les mythes shintô ne font pas exception à cette règle, et nous verrons qu'en fait prêtres et théologiens japonais, et aussi japonologues d'Occident, ont donné de beaucoup d'entre eux des explications variées.
. . . Nous trouvons parmi elles toutes les interprétations que les orientalistes occidentaux et leurs disciples asiens se sont laborieusement efforcés d'appliquer à toutes les cosmogonies : mythe solaire, descriptions météorologiques, réminiscences d'événements proto-historiques, etc. (Cf. Jean Herbert, L'Objet et la méthode des études mythologiques, Lyon, Derain, 1955). Comme tout vrai mythe est essentiellement polyvalent, il est fort possible que de telles hypothèses correspondent à certaines de ses significations.
. . . Néanmoins, ces explications ne méritent pas toutes la même attention ni la même confiance ; souvent elles reflètent davantage la mentalité de leurs défenseurs que celle des visionnaires qui sont à l'origine du mythe. Or, il existe un facteur qui, sans pouvoir servir de critère absolu, doit être pris en sérieuse considération. On ne devrait pas mettre en doute que des traditions orales ou écrites transmises comme sacrées pendant un nombre impressionnant de siècles par de nombreux millions d'hommes profondément religieux expriment tout au moins une certaine sagesse ; refuser de l'admettre serait taxer toute l'élite de l'humanité d'une inimaginable sottise. Je crois par conséquent que pour apprécier la vraisemblance d'une interprétation, il faut voir avant tout dans quelle mesure elle a un sens valable et elle transmet un message.
. . . Après une patiente étude poursuivie pendant une trentaine d'années, avec l'aide de quelque 300 prêtres et théologiens shintô, j'en suis arrivé à la conviction que la cosmogonie des Ecritures shintô n'est le fruit ni de l'imagination fantaisiste de poètes ni de balbutiements intellectuels d'un peuple primitif, comme l'ont dédaigneusement affirmé presque tous nos orientalistes. Comme les cosmogonies que nous offrent les textes sacrés authentiques des autres grandes religions, elle nous présente une description fidèle de vérités qu'ont vues et comprises de grands sages en contact direct avec les lois de la Nature. Le langage mythique dans lequel elle s'exprime est sans doute celui qui convenait le mieux, et il resterait encore à prouver que la terminologie la plus moderne de nos sciences physiques et mentales pourrait nous apporter un mode d'expression plus satisfaisant.
. . . La plupart des commentateurs se sont attachés à dénoncer à la fois le caractère invraisemblable de certains épisodes et les inconséquences et contradictions que semblent présenter diverses versions des mêmes faits dans le Kojiki, le Nihongi et d'autres textes. Les mêmes critiques pourraient être adressées tout aussi valablement à toutes les descriptions faites par des observateurs indépendants de phénomènes que personne d'autre n'a jamais vus, et à la réalité desquels beaucoup de gens ne croient pas. A mon avis, ces versions différentes devraient être considérées comme se complétant mutuellement, et l'ensemble des informations qu'elles apportent devrait être interprété à la lumière du bon sens, en partant de cette hypothèse qu'à priori l'histoire doit signifier quelque chose et avoir une certaine valeur. Si à première vue elle semble absurde ou enfantine, c'est le plus souvent parce que celui qui l'étudie est incapable - soit par manque d'expérience personnelle, soit sous l'effet d'un complexe occidental de supériorité - de comprendre certains aspects des vérités qu'elle révèle. Tout comme un livre sur l'électronique ou la grammaire chinoise n'a aucun sens pour le profane.
. . . La présentation que je donne ici de la mythologie shintô a été élaborée au cours d'innombrables consultations orales ou écrites, avec à peu près tous les prêtres et professeurs d'université japonais spécialisés dans l'étude des Ecritures et leur utilisation pratique. L'absence de dogme et une totale liberté de pensée étant deux traits fondamentaux de la religion shintô, les opinions de mes conseillers et informateurs ont souvent différé ; ils n'ont éprouvé aucune gêne à en discuter devant moi, en toute simplicité, au cours de nombreuses réunions - tenues spécialement à cet effet - que j'ai eues, tant avec des groupes de grands prêtres qu'avec des groupes de professeurs des universités shintô. Il ne m'appartenait évidemment pas de les départager ; aussi me suis-je borné à rapporter fidèlement toutes les opinions autorisées qui m'ont été communiquées. Dans la mesure où j'ai dû pour la clarté du texte donner à l'une d'elles la place principale et ne mentionner les autres qu'accessoirement, j'ai systématiquement choisi celle des grands prêtres dans les temples de qui on adorait les dieux en question.
. . . Les textes sacrés qui forment évidemment la base de toute étude mythologique sont pour le Shintô peu nombreux, obscurs et souvent laconiques. Nous en avons décrit ailleurs l'origine, la portée et aussi les difficultés de compréhension (Aux sources du Japon : le Shintô, op. cit., pp. 27-31) et nous n'y reviendrons pas ici.
. . . Dans les citations de ceux de ces textes pour lesquels il existe une traduction en une langue occidentale, je me suis appuyé sur cette traduction, en la corrigeant librement toutes les fois que prêtres et théologiens japonais la jugeaient inexacte. J'ai donc utilisé sous cette importante réserve la traduction du Kojiki par Basil Hall Chamberlain (2nd edition, Kobe, Thompson & Co, 1932), celles du Nihongi par W. G. Aston (2nd printing, London, George Allen and Unwin, 1956) et par Karl Florenz (Tôkyô, Hobunsha, 1901 et 1903), celle du Kogoshûi par Genchi Katô et Hikoshirô Hoshino (Tôkyô, Meiji Japan Society. 1925), et celles en librairie ou fragmentaires publiées dans divers périodiques, notamment par Atsuharu Sakaï, F. V. Dickins, J. L. Pierson, J. B. Snellen et F. Vos. Pour les références au Kojiki et au Nihongi, j'ai employé pour plus de commodité les divisions en chapitres établies respectivement par Chamberlain et Aston.
. . . J'ai naturellement fait un très large usage des abondants commentaires écrits sur les Ecritures sacrées par les théologiens japonais classiques et surtout les " quatre grands ", Azumamaro Kada, Mabuchi Kamo, Norinaga Motoori et Atsutane Hirata. Je n'ai cité les opinions d'écrivains occidentaux que dans les cas, d'ailleurs rares, où les autorités shintô compétentes les ont jugées justifiées ou intéressantes.
. . . Comme les Ecritures de la plupart des autres religions, les textes et traditions shintô ne tracent pas de ligne nette de démarcation entre la mythologie et l'histoire. D'entités et d'épisodes qui ne peuvent pas se situer dans le monde matériel tel que nous le connaissons, ils passent progressivement et insensiblement à des hommes et des évènements dont le caractère historique ne peut faire aucun doute et arrivent ainsi jusqu'au : milieu du XXe siècle. Dans ce volume, nous relaterons toute l'histoire des dieux japonais, les Kami, dans l'ordre " chronologique ".
. . . La partie la plus importante et la plus intéressante de la mythologie est naturellement celle qui traite de la théogonie et de la cosmogonie. L'interprétation que j'en donne ici n'a jamais été présentée auparavant, du moins dans son ensemble. Elle est évidemment fort loin d'être la seule possible ou même la seule admise. Son principal mérite est de reconnaître un sens valable à presque tous les épisodes, de fournir un tableau d'ensemble conséquent où chacun d'eux trouve sa place logique, de faire ressortir le caractère complémentaire de versions en apparence contradictoires et d'expliquer de façon vraisemblable et cohérente à peu près tous les symboles et images utilisés dans les textes sacrés.
. . . Un résumé de mon interprétation, long d'une quinzaine de pages, a ensuite été publié en traduction japonaise dans le Kôdôishin, le périodique professionnel du clergé Shintô, avec prière aux lecteurs d'envoyer critiques et commentaires. Vingt-trois grands prêtres, théologiens et professeurs ont répondu. Leurs observations, souvent d'ailleurs discordantes, portant sur des points de détail, ont toutes été incorporées dans le texte sous leur responsabilité. Nous résumerons plus loin celles qui portent sur l'ensemble de la cosmogonie.
. . . L'interprétation de la cosmogonie shintô, c'est-à-dire de la période que les Ecritures appellent l'âge des Dieux, Kami-yo, présentée dans les chapitres qui suivent, distingue sept stades successifs :
. . . 1° Apparition de principes différenciés, mais non encore matériels. - D'une existence non précisée et probablement moniste se dégagent successivement dans un ordre parfaitement logique les principes constitutifs nécessaires à la création du cosmos. Ils sont représentés par les dix-sept premiers Kami qu'énumère le Kojiki.
. . . 2° Apparition de la matière solide. - Le couple originel des Kami engendreurs du monde matériel crée l'élément Terre à la surface des Eaux primordiales et donne naissance aux Kami individuels représentant les forces qui sont nécessaires pour soutenir et animer le monde matériel.
. . . 3° Débuts de la vie mortelle. - La mort, élément indispensable de la vie terrestre, fait son apparition. Puisqu'elle est une imperfection et rend nécessaire un processus de lustration, on voit aussi apparaître la possibilité de ce processus, représenté par un certain nombre de Kami.
. . . 4° Institution de maîtres distincts pour le Ciel et la Terre. - Les trois parties de l'univers sont organisées et une répartition des tâches est effectuée entre leurs maîtres respectifs. Toutefois, comme la Terre ne pourrait subsister et prospérer sans la protection, la bénédiction et la coopération des puissances célestes, ces dernières sont amenées à exercer l'influence nécessaire.
. . . 5° Consolidation de la Terre. - Les Kami spécialement chargés de la Terre la confectionnent et la consolident.
. . . 6° Conquête de la Terre par les Puissances célestes. - Les Kami célestes, voyant que la Terre, maintenant organisée, n'est pas encore divinisée, jugent le moment venu d'en prendre eux mêmes possession. Plusieurs tentatives échouent, mais finalement ils réussissent. Les Kami célestes maintenant délégués pour gouverner la Terre assument leurs fonctions.
. . . 7° Union finale entre les Puissances célestes et les Puissances terrestres. - Les Kami célestes réalisent une union intime complète avec les Puissances de la terre et de la mer, et finalement avec les Kami terrestres eux-mêmes.
. . . Nous consacrerons un chapitre à chacun de ces stades, et nous y indiquerons plus en détail comment chacun d'eux se déroule. Nous réserverons à un volume suivant (Dieux et sectes populaires du Japon, Paris, Albin Michel, 1966) l'étude des autres Kami.
. . . Comme nous l'avons dit, la publication d'un long résumé de cette thèse dans le journal professionnel du clergé shintô provoqua de nombreux commentaires d'ensemble. La plupart exprimèrent une approbation sans réserve, dans des termes fort flatteurs dus évidemment à la traditionnelle courtoisie japonaise ; nous en citerons quelques exemples :
. . . " M. Herbert a fait preuve d'une remarquable intuition et d'une remarquable compréhension (N. Chigusa). "
. . . " Cette explication systématique est si splendide qu'elle fera époque dans l'étude du Shintô. M. Herbert a très bien compris nos mythes (I. Kinoshita). "
. . . " En vérité, ses commentaires sur les mythes sont splendides et devraient nous servir de grand guide dans le siècle actuel (S. Mitsuma). "
. . . " En étudiant cet essai, j'ai été profondément impressionné par son excellence. Le mythe shintô y est analysé de façon logique et systématique. Bien des savants japonais ne se sont pas exprimés avec une telle concision. Ce qu'il y a d'original dans cet essai éclaire, à différents degrés, nos propres conceptions (F. Satô). "
. . . " Je voudrais dire mon profond respect pour cet article, car nos classiques y sont interprétés de façon concise, par une analyse courageuse et perspicace, dans une attitude pieuse et sincère (M. Nakashima). "
. . . " Cet essai sera hautement estimé par les savants (M. Nishiyama). "
. . . " Comme il est assez difficile, même pour nous, de donner des mythes shintô une interprétation qui satisfasse les Japonais modernes, ce travail sera grandement estimé (Mme S. Sako). "
. . . Certains correspondants, tout en approuvant sans réserve cette thèse, soulignent que d'autres explications peuvent néanmoins être tout aussi valables :
. . . " Interprétation excellente, mais il ne faudrait pas conclure que c'est la seule possible (U. Ashizu). "
. . . " L'opinion de M. Herbert sur la façon dont doivent être compris nos mythes est excellente et fait autorité. Son explication raisonnable des mythes du Kojiki est certainement intéressante, bien qu'on puisse aussi en donner plusieurs autres bonnes explications (M. Matsunaga). "
. . . " Excellente opinion (Y. Okada). "
. . . Mon affirmation que la cosmogonie shintô n'est pas incompatible avec les théories scientifiques actuelles sur l'origine du monde a provoqué des réactions diverses :
. . . " Etant tout à fait rationnelle et succincte, cette interprétation prouve que la cosmogonie shintô ne contredit pas la science moderne. C'est ce que les shintôistes ont toujours pensé (S. Mori). "
. . . " La cosmogonie shintô n'est pas contredite par la science d'aujourd'hui, mais elle peut l'être par la science de demain. Dans son essence, le mythe est au-delà de la science (M. Anzu). "
. . . Les opinions ont aussi différé sur la valeur historique des mythes et sur leur valeur symbolique ou ésotérique. Nous citerons deux attitudes extrêmes :
. . . " Les mythes n'ont pas été composés pour des raisons abstraites ; ils ont été dès le début des images concrètes. J'ose les appeler des 'faits mythiques' (U. Ashizu). "
. . . " Comme vous me l'avez demandé, j'ai étudié l'article de M. Herbert. Il peut être rationnel de chercher à dégager les grandes lignes des mythes japonais. Mais, comme vous le savez, les mythes japonais ont été composés par la Maison Impériale sur la base de mythes qui existaient déjà dans les différents clans, et le but en était de consolider la communauté, d'un point de vue spirituel. Le principe fondamental de la Maison Impériale est qu'elle règne de par la lumière spirituelle du Descendant céleste des Kami célestes, afin de maintenir l'ordre et d'assurer le bien-être de la société tout entière. Ainsi le mythe de la descente du Prince Ninigi est une image (préfiguration?) de l'intronisation de Jimmu-tennô. Quant au mythe généalogique qui précède [l'apparition de] la Déesse du Soleil, c'est une superstructure destinée à embellir les principes que je viens de rappeler. Discuter de la cosmogonie est donc parfaitement oiseux. C'est là une critique cruelle, mais je vous dis franchement ce que j'en pense (Y. Morita). "
. . . Certains commentateurs sont choqués de ce que je voie dans leurs mythes le compte rendu de visions obtenues seulement par une petite élite de " grands sages ". Ils préfèrent y voir " l'expression naturelle de l'expérience profonde obtenue par les âmes pures, naïves et pénétrantes " de tous leurs ancêtres (S. Mitsuma) ou même " de l'esprit racial japonais pris collectivement (M. Anzu) ".
. . . Plusieurs correspondants ont été tout particulièrement satisfaits de ce que j'aie reconnu le rôle capital joué dans le Shintô par l'Empereur (Tennô) (F. Satô), et certains même ont regretté que je ne l'aie pas souligné davantage (M. Nishiyama et K. Kima).
. . . Mais comme il apparaît déjà de quelques-unes des citations précédentes, la principale critique faite à ma présentation est qu'elle est trop intellectuelle. Déjà le Secrétaire général du Jinja-honchô (M. Tomiaka), montrait quelque appréhension : " D'une façon générale, l'idée directrice de M. Herbert est tout à fait excellente...; si on en discutait en grand détail, cela pourrait devenir gênant. Mais dans l'ensemble, c'est très bon. " Divers autres critiques ont été beaucoup plus catégoriques. S. Ono écrivait : " L'interprétation de M. Herbert est trop rationaliste... Bien que certains Japonais s'efforcent de construire une cosmogonie ou une théologie rationnelle, je doute que leurs théories puissent se faire accepter universellement comme représentant la Vérité absolue. Je crains que cela n'aboutisse à une sorte de métaphysique, qui se heurtera alors aux sciences et philosophies modernes. " A. Nakanishi lui-même trouve mon explication des Kami " trop abstraite ". M. Nishiyama est encore plus net : " Procéder à une analyse logique d'un mythe, c'est comme faire une dissection anatomique, qui nous fournit des renseignements sur la structure de l'être humain, mais non pas sur sa vie. Et ce qui est plus essentiel, c'est de comprendre l'être humain vivant. " K. Kima me faisait observer qu'il ne faut pas interpréter " la vivante vague du Shintô " par des jugements analytiques, mais " surtout la percevoir par intuition synthétique ", sans quoi " la vie du mythe se dessèche ". Dans une réponse que publia le Sonnô Ishin, le même spécialiste écrivait : " Lorsque j'ai lu avec la plus grande attention l'essai de M. Herbert, j'ai été tout d'abord impressionné par la pureté spirituelle dont il est entièrement imprégné. J'admire que l'auteur ait pu y embrasser autant d'éléments importants du Shintô. Mais je ne puis m'empêcher de penser que c'est un produit de l'intelligence ouest-européenne " - ce qui en l'occurrence est loin d'être un compliment !
. . . Néanmoins, comme le reconnaît S. Ono lui-même, " il est universellement admis par les shintôistes que l'ancienne mythologie japonaise comporte une cosmologie raisonnable ".
. . . I. Kinoshita trouve ma " longue interprétation des Kami célestes et terrestres " " trop dualiste ", bien que ma conclusion sur leur union finale lui paraisse témoigner d'une " fort excellente perspicacité ". S. Mitsuma formule la même critique avec plus de détails : " Puisque le Shintô est la Voie des Kami, ou le flot de vie qui procède des Dieux, il faut en comprendre les mythes tels qu'ils sont, tels qu'ils vivent, sans cadre idéologique. Il faut les interpréter selon la logique de musubi, c'est-à-dire du principe vital de croissance, de sustentation et de création. Il est absolument nécessaire de se placer à ce point de vue vivant et synthétique. Aussi M. Herbert a-t-il trop insisté sur les concepts de ' forces ' de ' résistance ' de ' conquête de la Terre par les Puissances célestes '. Il faut se rendre compte qu'il règne un véritable amour entre le monde céleste (Takama-ga-hara) et le monde où nous sommes (Ashi-hara-no-naka-tsu-kuni), comme le prouvent la naissance de Susano-wo, les tâches assumées par O-kuni-nushi, l'inspection préliminaire effectuée par Take-mika-dzuchi, etc. "
. . . Il est malheureusement plus que difficile à un lecteur occidental d'apprécier une cosmologie si elle ne lui est pas présentée selon notre mode de penser et d'expliquer, c'est-à-dire plus ou moins intellectuellement. J'espère, par conséquent, que mes amis et conseillers japonais me pardonneront de n'avoir pu sur ce point entièrement déférer à leur désir.
. . . Dans les chapitres qui suivent, je me suis efforcé de raconter la version shintô de la création du monde dans les termes mêmes qu'emploient les textes les plus sacrés, en présentant les citations - sauf rares exceptions - dans l'ordre logique ou chronologique qui s'impose.

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* . . *

. . . Nous avons appliqué dans ce volume les mêmes règles de transcription que dans le précédent.
. . . Pour chaque Kami, nous utilisons le nom entier, accompagné de sa traduction lorsqu'elle est connue, la première fois seulement que nous le citons ; les fois suivantes, nous ne donnons que la partie de son nom nécessaire pour l'identifier. Lorsque le même Kami porte plusieurs noms, nous le désignons toujours par celui employé dans son temple originel principal, mais nous ajoutons entre parenthèses, lorsque cela semble présenter un intérêt, le nom utilisé dans le texte cité. Quant au choix entre les diverses variantes d'un même nom, nous nous conformons, sauf rares exceptions, aux coutumes locales.
. . . Nous employons le terme jinja pour désigner indistinctement tous les temples shintô. Dans le texte, nous donnons simplement le nom de chaque jinja cité et le lecteur voudra bien se reporter à l'Index alphabétique pour savoir duquel il s'agit parmi ceux qui portent le même nom.
. . . Il nous faut remercier ici une fois de plus les nombreux prêtres, professeurs et théologiens shintôistes qui nous ont fait profiter de leurs connaissances et guidé de leurs conseils, et plus particulièrement le Professeur Akira Nakanishi, sans doute le plus grand théologien actuellement vivant, sans l'aide constante et dévouée de qui cet ouvrage n'aurait jamais pu être écrit. Nous n'avons donné dans le texte du volume que les noms de ces précieux collaborateurs ; on trouvera leurs titres et qualités dans l'Index alphabétique. Les références bibliographiques complètes des ouvrages dont nous avons cité les auteurs figureront dans le volume suivant : " Dieux et sectes populaires du Japon ", qui doit paraître en 1966.

Extrait (p. 19) : CHAPITRE I : LES STADES PRE-MATERIELS DE LA CREATION

. . . Les deux principaux textes sacrés, le Kojiki (écrit en 712) et le Nihongi (écrit en 720), nous offrent des versions légèrement différentes de la genèse de l'univers. Dans les pages qui suivent, nous prendrons pour base ce qui - tout au moins quant au fond (T. Yoshida) - est le plus authentiquement shintô et le moins influencé par des concepts plus tardifs de philosophie chinoise, c'est-à-dire les premières sections du Kojiki. Nous les compléterons et les interpréterons à la lumière de ce qu'y a ajouté l'auteur du Kojiki, Ô-no-ason-yasumaro, dans sa préface et aussi des diverses versions que rapporte le Nihongi. Bien qu'à première vue ces divers récits semblent ne pas concorder, une étude plus approfondie y découvre des exposés mutuellement complémentaires d'une seule et même vision.
. . . Comme toutes les autres grandes traditions, le Shintô distingue dans le processus de la création du monde tel que nous le connaissons une série de stades successifs qui conduisent progressivement de l'Unité originelle non matérielle à la Multiplicité matérielle actuelle. De par leur nature même, les stades pré-matériels ne sauraient être décrits dans le langage et la logique de la raison et de la philosophie que nous avons élaborées pour nos rapports avec l'univers matériel ; aussi les exposés sont-ils présentés dans un langage mythologique où chaque mot est lourd de signification et où une grande partie du sens doit être cherchée dans les noms des Divinités citées.
. . . Si nous suivons sauf quelques exceptions la traduction de Chamberlain, voici ce que nous enseignent les deux premières sections du Kojiki : ...

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