Dieux et Cultes populaires du Japon
de Jean Herbert

p. 127
. . . Parmi les Ecoles... qui prétendent représenter le Shintô à l'état pur, les plus importantes sont probablement le Fukko-Shintô, le Shinri-kyô et l'Izumo-ô-yashiro-kyô.
. . . Le Fukko-Shintô " littéralement Shintô de la Restauration, ou de la Réforme..., commença par une étude laborieuse de la philologie ancienne, s'efforça de déterminer clairement ce qu'était autrefois la mentalité des Japonais et ainsi de découvrir l'essence même du Shintô (1) ". Il compta au nombre de ses représentants les quatre plus grands théologiens japonais : Azumamaro Kada, Mabuchi Kamo, Norinaga Motoöri et Atsutane Hirata, dont nous avons ailleurs décrit l'oeuvre et expliqué l'influence capitale (2).
. . . Dans le Hirata-shintô, qui se réclame plus expressément des enseignements d'Atsutane Hirata (3), il ne faut probablement voir que l'une des formes principales prises par le Fukko-shintô. Alors qu' A. Hirata n'avait autour de lui que 533 disciples, son beau-fils et successeur, Tetsutane Hirata, en comptait déjà 1.330. Selon le Hirata-shintô, Ame-no-minaka-nushi-no-kami, Kami-musubi-no-kami et Taka-mi-musubi-no-kami (4) préexistaient au monde, Izanagi et Izanami-no-kami, les procréateurs du monde (5), correspondent à Adam et Eve de l'Ancien Testament. Yomotsu-kuni (6) est le monde réel et éternel de l'Au-delà, le Japon est la première terre créée. Aussi toutes les autres religions ne peuvent-elles être que des adaptations imparfaites de traditions japonaises (7). Le Jingi-kwan (8) s'inspira largement de ces idées. C'est A. Hirata qui forgea aussi le terme Zoku-shintô pour désigner toutes les sectes shintô qui sont plus ou moins mêlées de Bouddhisme, de Confucianisme ou de Taoïsme (9).
. . . Le Shinri-kyô, " Religion de la raison divine ", fut fondé, à la suite d'une révélation, par Tsunehiko Sano (ou Kannagibe) (1834-1906), qui revendiquait pour ancêtre Nigi-haya-hi-no-mikoto (10) et même la Déesse du Soleil, Amaterasu-ô-mi-kami. "L'école" prêche le culte de tous les Kami jusqu'à Amaterasu-ô-mi-kami inclusivement ; elle souligne l'importance du respect qui est dû à tous les Kami et de l'amour du pays (11) et aussi de tout ce qui peut ramener les Japonais à leurs traditions nationales (calligraphie, peinture sacrée, cérémonie du thé, arrangement des fleurs, etc.). C'est l'une des treize "écoles" shintôistes reconnues en 1882. On lui attribue actuellement plus d'un million d'adhérents...
. . . ...Certaines "Ecoles", comme le Yamakage-shintô-aïshinkaï (16), actuellement présidé par le jeune et dynamique Kikumaro Ôuë, prétendent avoir des modes de culte provenant des temples du Palais Impérial. Nous avons rapporté ailleurs nombre de leurs traditions ésotériques (17), recueillies auprès de Kikumaro Ôuë.

. . . 1. Basic terms of Shintô. - 2. Aux sources du Japon : le Shintô, pp. 34 sq et 87 ; Les Dieux nationaux du Japon, p. 284. - 3. Cf. Aux sources du Japon : le Shinltô, p. 35. - 4. Cf. Les Dieux nationaux du Japon, pp. 28-32. - 5. Ibid., pp. 85-121. - 6. Cf. Aux sources du Japon : le Shintô, pp. 114 sq. - 7. T. Muruoka. - 8. Cf. Aux sources du Japon : le Shintô, p. 65. - 9. K. Nakanishi. - 10. Cf. Les Dieux nationaux du Japon, pp. 152 sq. - 11. H. Kishimoto. 16. Les informations relatives au Yamakage-shintô-aïshinkaï contenue dans ce volume comme dans les précédents ont été receuillies auprès du Président de l'Ecole, Kikumaro Ôuë, au cours de divers séjour au Japon entre 1955 et 1965. - 17. Cf. Aux sources du Japon, le Shintô, pp. 64, 106-109, 136-140, 144-151, 185, 230, 235, 277, et 303 sq. ; Les Dieux nationaux du Japon, pp. 28, 95, 218 et 268.





Aux sources du Japon, le Shintô
de Jean Herbert

p. 64
. . . ...Comme l'Empereur est parmi les descendants en ligne directe du Kami celui qui occupe le rang le plus élevé, il est naturel qu'il soit aussi le grand prêtre de tout son peuple, spirituellement responsable du bien-être spirituel de son peuple et aussi, par voie de conséquence de son bien-être matériel.
. . . Cette tâche sacrée le met naturellement dans l'obligation de se plier dans sa vie quotidienne à des règles fort strictes. On attend de lui qu'il vive " sans aucun désir ", afin d'être un symbole du néant, du vide (1). Il doit conserver son esprit dans l'état d'un miroir sans tache afin de refléter uniquement la Vie divine (2). Comme l'écrivait fort pertinemment Shinichi Fujii, " puisque le Tennô est un descendant de la Déesse du Soleil, c'est-à-dire un Dieu vivant, il pratique la voie du Tennô, c'est-à-dire la voie de la Déesse du Soleil ".

. . . 1. Teïkichi Satô, professeur à l'Université de Tôhoku.
. . . 2. Kikumaro Ôuë, président du Yamakage-shintô-aïshinkaï.

pp. 103-109
. . . Les écoles traditionnelles de mystique shintô ont, du monde et de la vie sur les plans supérieurs, des conceptions métaphysiques à la fois précises et systématiques ; ces connaissances sont transmises solennellement aux disciples au fur et à mesure de leur développement... " Il est vrai que la Voie des Dieux ne doit être révéler qu'avec circonspection. "...
. . . Il est néanmoins possible de donner quelques indications sur un certain nombre de points essentiels : a) la nature de l'homme et le concept de tama, assez voisin de ce que nous appelons l'âme ; b) les divers " mondes " ou " plans " dont l'univers est composé ; c) la vie après la mort ; d) le concept de croissance ou d'élan vital, musubi.
. . . En Shinto, la nature de l'homme est à la fois divine et terrestre. Le terme japonais par lequel on le désigne le plus volontiers est hito, pour lequel on a proposé des étymologies variées, mais par lequel on entend généralement " un lieu où réside l'esprit ". Le même concept s'exprime aussi par le terme plus détaillé ame-no-masu-hito, " homme croissant célestement " ou " être humain sacré croissant infinité ". En d'autres termes, l'homme est un être qui vit sous la bénédiction des Kami et dont le sort et de prospérer dans le bonheur...
. . . Si incertaines que doivent rester les idées en l'absence de tout dogme, il apparaît clairement qu'il y a en l'homme quelque chose qui survit à la mort du corps physique, et même qui est éternel. Le mot par lequel on le désigne le plus couramment est tama ou mitama, mi- étant ici un simple préfixe honorifique et respectueux...
. . . " Jadis ", il y avait une croyance selon laquelle le tama ne reste pas toujours dans le corps, même pendant notre vie sur terre ; pour le tama, le corps n'était qu'un lieu de séjour provisoire, même entre la naissance et la mort, et l'on rapporte de nombreux cas où le tama a quitté pendant quelque temps le corps qui était son hôte...
. . . Un autre concept, qui n'est pas entièrement distinct du tama, sans pourtant lui être identique, est celui du tamashii, que l'on interprète comme étant le pouvoir, les facultés et l'action du tama. Etymologiquement, le tamashii serait " l'esprit donné par le Kami " ou " l'esprit de l'âme ", et probablement l'aspect supérieur du tama ou sa partie supérieure. Selon Akira Nakanishi, chacun " a ou reçoit son propre tamashii, qui vivra beaucoup plus longtemps que son corps, qui est toujours créateur et qui, dans des conditions normales, croît en des dimensions supérieures ". C'est peut-être la partie du tama qui, selon Shigeyoshi Aoyama et d'autres autorités, devient le Kami et est " très supérieur à l'autre partie, mono, qui ne peut pas devenir Kami ". On dit parfois que le mono est l' " esprit qu'ont aussi les animaux ", tandis que mi, une autre composante du tama, correspondrait à " un concept selon lequel on voit dans les objets et les corps des esprits ". Mono et mi sont tous deux " des esprits inférieurs, mais sur beaucoup de points la différence de sens et leurs rapports mutuels n'apparaissent pas clairement ". " Actuellement, on emploie mono pour désigner simplement un être ou un objet, alors que mi désigne un corps, un fruit ou un contenu. "...
. . . Hiromi Kitano parle aussi du mamoro-tamashii comme étant l' " âme gardienne ", dans laquelle il voit le fons et origo de la force vitale...
. . . Le tama constitue évidemment la partie essentielle de l'homme. M. Shigeyoshi Aoyama m'expliquait qu'autrefois les batailles se livraient en réalité entre les tama des combattants. Ce qui aiderait à comprendre bien des éléments étranges ou mystérieux dans tous les modes japonais de lutte, qu'il s'agisse d'escrime, de sumô...
. . . On considère également que la plupart des entités, sinon toutes, dans les règnes animal, végétal et même minéral ont leur propre tama... Et cela expliquerait pourquoi un arbre ou un rocher peuvent être considérés comme des Kami et vénérés comme tels.
. . . Un des cas les plus remarquables est celui de l'Epée divine, Futsu-no-mitama, dans laquelle certains voient le mitama du Japon...
. . . Un caractère fondamental du mitama est qu'il peut être considéré sous quatre aspects différents, shikôn, qui dans certaines circonstances peuvent être isolés les uns des autres, et même, après la mort, se situer en des lieux différents. Ce sont l'ara-mitama, le nigi-mitama, le saki-mitama et le kushi-mitama. Il est malaisé de décrire dans une terminalogie occidentale leurs rôles respectifs et les rapports entre eux, mais les Japonais semblent avoir une idée très claire de ce qu'ils représentent, tout au moins en ce qui concerne les deux premiers.
. . . D'après M. Kikumaro Ôuë, grand ésotériste, mais dont les opinions ne sont probablement pas partagées par la majorité des autorités shintô, ces quatre mitama peuvent être représentés comme suit dans le cadre de la philosophie d'ichi-reï-shi-kôn " les quatre âmes sous la direction d'un même esprit " :

  { " Ce qui perpétuellement
engendre le corps, la ra-
cine invisible du monde
extérieur visible. "
.
{ ara-mitama

nigi-mitama
l'âme
     
  " Ce qui diversement en-
gendre le mental, la
source spirituelle du
monde intérieur invi-
sible. "
{ saki-mitama

kushi-mitama
.
.
   
 
kushi-mitama
 
ara-mitama
/ + /
nigi-mitama
 
saki-mitama
 

Et il existe " une relation " entre ara-mitama et kushi-mitama, une relation aussi entre nigi-mitama et saki-mitama.
. . . Dans ce contexte, ara " implique la fonction " d'aru (apparaître dans le monde extérieur), nigi celle de nigirû (consolider le monde intérieur), saki celle de saku (diviser, différencier, analyser).
. . . Bien que cette conception revendique l'autorité de nombreux " livres secrets " du Shintô et prétende être constamment confirmée par de profondes méditations, la plupart des théologiens suivent Motoöri et voient dans le saki-mitama et le kushi-mitama deux aspects du nigi-mitama ; tel est l'avis de la majorité du corps enseignant à l'Université Kokugakuin.
. . . On a décrit l'ara-mitama comme brut, sauvage, enragé (Masaharu Anesaki), comme étant le pouvoir destructeur de ce qui est mauvais et constructeur de ce qui est divin (Kikumaro Ôuë), comme un esprit qui a pouvoir de régir avec autorité (Basic Terms of Shintô) comme la manifestation par opposition à l'essence. On insiste parfois sur le fait que l'ara-mitama ne peut être qu'une partie ou un aspect du mitama total (Iwao Kinoshita). On justifie quelquefois son existence en relevant que l'homme n'est pas toujours " pur ", c'est-à-dire sans désirs, et qu'il peut à l'occasion succomber aux tentations, mais que l'âme doit contrecarrer cette tendance et détruire les désirs ; l'ara-mitama correspondrait à cette activité de l'âme (Nobusada Nishitakatsuji).
. . . Le nigi-mitama, qui est la contrepartie de l'ara-mitama, a été décrit comme doux, paisible, raffiné (Masaharu Anesaki), la paix, ce qui donne la paix, ce qui opère les ajustements nécessaires pour entretenir l'harmonie (Kikumaro Ôuë), un esprit qui a pouvoir de conduire à l'union et à l'harmonie (Basic Terms of Shintô), l'essence par opposition à la manifestation. On insiste parfois sur le fait qu'il constitue la partie (ou aspect) essentielle et originelle du mitama (Iwao Kunoshita).
. . . Le saki-mitama, ou sachi-mitama, est décrit comme heureux, florissant (Masaharu Anesaki), ce qui rend heureux, ce qui donne l'amour pur, qui amène la création (Kikumaro Ôuë), une puissance qui confère des bénédictions (Basic Terms of Shintô). Dans un contexte moins personnel, plus cosmique, et peut-être plus originel, le saki-mitama est " la grande puissance originelle dans les bienfaits et les richesses qui nous viennent de la montagne et de la mer (Shigeyoshi Aoyama)".
. . . Le kushi-mitama (ou kushibi-mitama (Kikumaro Ôuë)) est décrit merveilleux, caché et aussi hideux (Masaharu Anesaki), l'esprit intérieur, la sagesse, l'invention, la découverte, ce qui est mystérieux (Kikumaro Ôuë), un esprit qui provoque de mystérieuses transformations (Basic Terms of Shintô). On dit parfois qu'il embrasse à la fois le nigi-mitama, et l'ara-mitama (Iwao Kinoshita) et parfois qu'il va " au-delà d'eux (Nobusada Nishitakatsuji)". Il peut être perdu (Shigeyoshi Aoyama). Dans un contexte moins personnel et plus cosmique, le kushi-mitama est " le pouvoir guérisseur originel, le pouvoir qui agit dans les médicaments (Shigeyoshi Aoyama)".
. . . Selon certains auteurs, le kushi-mitama et le saki-mitama peuvent venir de l'extérieur (Shigeyoshi Aoyama). Il est possible qu'une grande âme extérieure à nous devienne notre et agisse en nous ; cela peut se produire soit sur l'initiative de cette grande âme elle-même - qui peut avoir ses raisons pour agir de la sorte - soit sur notre propre initiative - si nous avons des raisons de faire appel à elle (Cf. p.252 sq. ci-dessous).
. . .... On emploie parfois le terme d'ô-mitama, par lequel on entend l'ensemble de tous ces mitama particuliers (Akira Nakanishi).





Les Dieux nationaux du Japon
de Jean Herbert

pp. 24-25
. . . ...dans le Kojiki, le premier Kami, celui qui probablement occupe par conséquent le rang suprême, est Ame-no-minaka-nushi-no-kami (Kami maître de l'auguste Centre du Ciel)...
. . . Selon Aston, son nom signifierait " la Divinité par laquelle le Ciel subsiste éternellement ". D'après un gûji les plus éminents (Y. Takahara), ce " centre de tous les Kami, plus universel et plus éternel que tous les [autres] Kami "... Un autre gûji encore (M. Nakatsugawa), ne voit pas en lui un Kami à proprement parler, mais le " pilier central de l'univers, qui est apparu dans le chaos, venu nul ne sait d'où ". Un des occidentaux les plus perspicaces qui ont étudié le Shintô, Mason, voit en lui une personnification de " la totalité unifiée de l'Esprit divin ".
. . . K. Kakehi en a donné la description détaillée suivante : " 1° Ame-no-minaka-nushi-no-kami existe à la fois dans l'univers empirique et au-dessus de cet univers. Il est à la fois himanent et transcendant. Il entoure le monde visible et participe à sa nature tout comme un cercle - ou une sphère - extérieur enveloppant en inclut et transcende à la fois un plus petit qui lui est concentrique. Ainsi, demeurant au-dessus de l'univers phénoménal [connu] de l'expérience humaine, il en reste néanmoins la partie inséparable la plus intime. Il possède les attributs de naka-ima ou (dôji-dôsho), " même temps, même lieu " et pourtant, bien qu'existant en tous temps et en tous lieux, il reste supérieur aux limitations temporelles et spatiales. 2° L'épithète naka (centre, milieu) dans le nom de ce Kami ne doit pas être prise comme indiquant une localisation en un lieu central dans le Ciel (Ama) envisagé comme une partie de l'univers existant. La " centralité " ne s'applique pas à lui dans un sens spatial et physique, mais en ce sens que tout dépend de lui. 3° Il est à la fois sôsetsu et hisôsetsu, c'est-à-dire que par rapport au monde phénoménal il est à la fois Créateur et Création. Dans l'oeuvre de la création, il exerce à la fois une fonction active et une fonction passive. La vie n'est pas simplement une force qui crée, mais aussi quelque chose de créé. 4° Il est fushô-fumetsu-fuzô-fugen, sans commencement, sans fin, sans croissance, sans décroissance. Il est la base et le fondement immuables du flux dans le monde phénoménal, transcendant tout changement. "
. . . S'exprimant en termes plus " biologiques ", C. Fujisawa écrivait récemment : " Le premier Kami se rapporte métaphysiquement au Centre cosmique, où l'énergie qui fait tout germer reste à l'état potentiel. "
. . . Il faut observer également que dans le nom de ce Kami, le mot nushi, généralement traduit par " maître ", ne signifie pas qu'il exerce une domination sur le Ciel ou sur l'existence terrestre ; c'est une façon de souligner que le concept d'Unité n'est pas seulement originel, mais aussi dominant. Ce qu'I. Watanabe exprime entermes plus imagés lorsqu'il écrit que nushi signifie " maître ou possesseur, semblable à un joyau, autrement dit précieux ou noble supérieur ".
. . . Quoiqu'il en soit, il est " naturel de dire - et on ne risque guère de ce tromper - qu'Ame-no-minaka-nushi-no-kami est une manifestation du monothéisme primitif (G. Katô) "...
. . . ...le Jindaï-hongi du Kujiki sans doute l'un des textes les plus anciens, fait intervenir en premier lieu un Kami portant le nom d'Ame-yuzuru-hi-ame-no-sagiri-kuni-yuzuru-tsuki-kumino-sagiri-no-mikoto. De nos jours, certaines autorités, comme Y. Amabe, l'un des plus grands ésotéristes actuels, mais dont les thèses sont loin de recueillir l'approbation générale des milieux officiels, résolvent le problème en identifiant ce Kami à Ame-no-minaka-nushi-no-kami...

pp. 27-28
. . . ...Comme on pouvait le prévoir, l'attitude envers le premier Kami est complètement différente lorsqu'on passe aux groupes ésotériques et mystiques, qui dans leurs pratiques spirituelles s'efforcent de remonter aussi loin que possible en arrière pour découvrir la Vérité originelle des choses. Ces groupes attachent une importance considérable à Ame-no-minaka-nushi-no-kami, mais ils sont vus avec une certaine méfiance par les temples plus officiels et, comme à l'époque de Kaempfer, ils ne sont guère enclins à révéler à des non-initiés les résultats auxquels leurs recherches les ont conduits. Le Mitake-kyô, le Kawatsura-Shintô ou Mitsukaï (qui donne aussi à ce Kami le nom d'Ô-amatérasu-ô-mi-kami), le Shuseï-ha et le Yamakage-shintô-aïshinkaï ne sont que quelques-unes des écoles qui dans leur culte placent Ame-no-minaka-nushi-no-kami au-dessus de tous les autres Kami. Le dernier cité donne aussi à ce Kami le nom ésotérique d'Ama-tsu (avec le sens d'Ame-no, c'est-à-dire cosmique)-udzu (spirale dans le sens des aiguilles d'une montre)-udzu (spirale dans le sens contraire à celui des aiguilles d'une montre)-shi (signifiant de, qui est une conjonction)-yatsu (huit, c'est-à-dire les quatre points quardinaux et les quatre points intermédiaires, en d'autres termes la totalité)-nagi (réunir en une seule unité)-no-ô-kami (le grand Kami de ...) (1).
. . . Une particularité remarquable des temples consacrés à Ame-no-minaka-nushi-no-kami est qu'aucun d'eux ne semble rattacher la présence du Kami à un envoi (bun-reï) (2) fait par un temple-mère, comme c'est le cas pour presque tous les autres Kami ; le Kami est considéré comme descendu directement dans l'objet (go-shin-taï) (3) qui lui sert de support matériel (4).

. . . 1. K. Ôuë. - 2. Cf. Aux sources du Japon, le Shintô, pp. 194-198. - 3. Ibid., pp. 188-194. - 4. S. Horikawa, M. Nakatsugawa, T. Nagata, H. Nukaga, etc.

p.95
. . . ...Amaterasu-ô-mi-kami accepte l'épreuve proposée (par son frère Susano-wo-no-mikoto), et les deux Kami se postent de part et d'autre de la Divine Rivière du Ciel, Ame-no-yasu-kawa (Kojiki, I, XIII ; Nihongi, I, 35.). Selon l'une des versions du Nihongi, ils " creusent trois vrais puits du Ciel (Ame-no-mana-wi) ".
. . . Des trois " vrais puits du Ciel ", K. Ouë donne l'explication ésotérique suivante : le puit du milieu correspond à Naho-bi (qui ici représente l'esprit régissant les quatre âmes, mitama), Ichiki-shima-hime et Ame-no-oshi-ho-mimi ;

Amaterasu-ô-mi-kami
O
 
___________________________________________________

L'ensemble des mitama
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ O ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^
^^^^^^^^^ Nigi-mitama ^^^^^^^^^^^^^Ara-mitama ^^^^^^^^^^
^^^^^^^^^^^ . . . . et . . . . . O . . . . . . . O . . . . . et . . . .^^^^^^^^^^^
^^^^^^^^ Saki-mitama ^^^^^^^^^^^^^ Kushi-mitama ^^^^^^^^^
____________________________________________________
.
 
O
Susano-wo-no-mikoto
La
Divine
Rivière
du
Ciel
« Ame-
no-
yasu-
kawa »

le puit de gauche correspond au nigi-mitama, au saki-mitama, à Ama-tsu-hiko-ne et Iku-tsu-hiko-ne ;
et le puit de droite à l'ara-mitama, au kushi-mitama, à Tagiri-hime, Ame-no-ho-hi et Kumanu-musubi.
Dans le cadre du même symbolisme, l'épée de Susano-wo correspond à l'ara-mitama et au kushi-mitama, et les joyaux d'Amaterasu-ô-mi-kami au nigi-mitama et au saki-mitama.

pp. 113-115
. . . D'après la tradition, on pense que les " paroles divinement inspirées " prononcées par Ame-no-uzume au cours de sa danse (devant la porte de la "Céleste Caverne de roc" où Amaterasu-ô-mi-kami s'était retirée après la première tentative de Susano-wo-no-mikoto pour faire descendre sur terre les forces Célestes), ces " paroles divinement inspirées " constituent la formule sacrée utilisée actuellement dans le chin-kôn, et que l'on interprète en général comme signifiant 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10. Selon ce qu'on considère comme une prononciation archaïque, on les prononce d'habitude hi, hu, mi, yo, i, mu, na, ya, ko, to (Y. Wada). D'autres ésotéristes ajoutent à cette série 100, 1.000 et myriade, et prononcent le tout hito, futa, mi, yo, itsu, mu, nana, ya, kokono, tari, momo, chi, yoruzo (C. Fujisawa).
. . . La série classique des dix premiers nombres est supposée être en rapport étroit avec les dix Trésors divins (Cf. pp. 152 sq ci-dessous.). Le grand et vénérable ésotériste Y. Wada m'en a donné le commentaire suivant, qui paraît beaucoup plus vraisemblable que celui proposé par A. Hirata.
. . . Hi, qui se prononce comme les mots désignant le soleil et le feu, se réfère à la Source originelle unique ; c'est la grande force de l'univers, une force naturelle, qui peut nous apparaître comme grande ou petite.
. . . Hu signifie fuki-dasu, c'est-à-dire jaillir avec force. La syllabe fu vient du verbe fukumu, au sens de " contenir ". La force hi, qui est l'éther divin, se divise et produit un jaillissement, c'est-à-dire donne la dualité première (droite et gauche, positif et négatif, soleil et lune, etc.). Hu est donc en réalité une force séparatrice.
. . . Mi se prononce comme le mot désignant le fruit, ou comme la première syllabe du verbe minoru, porter des fruits. Cela signifie que les deux éléments qui se sont séparés se réunissent pour produire un fruit complet. Le mot signifie également vérité, fidélité, contenu. On peut aussi considérer qu'il est une combinaison de mu (six) et de i (cinq), et dans cette hypothèse, il signifierait unir par l'action de la Volonté divine. C'est en réalité un retour au centre.
. . . Yo se prononce comme le mot qui désigne un noeud dans un bambou. Il signifie le monde, et par conséquent ce qui ajoute au fruit une force spirituelle. Egalement la vie quotidienne.
. . . I est le second i du mot mi-itsu, qui signifie vertu ou gloire, plus particulièrement lorsqu'on parle de l'Empereur ou de l'Absolu. C'est à proprement parler la Volonté du Divin et l'action de cette Volonté.
. . . Mu vient de musubi ou musubu, lier ensemble. C'est la même syllabe que l'on retrouve dans koke-musu, abrégé en koke, qui désigne la mousse, ce qui pousse de la terre, ce qui ajoute un lien intime, une force spirituelle naturelle et sacrée.
. . . Na est la première syllabe des verbes naru, devenir et nasu, faire ; elle implique les mêmes concepts que ces deux verbes.
. . . Ya est composé de i+a. Il est étroitement relié, soit à ya masu-masu, de plus en plus, soit à iyo iyo, à partir de maintenant, ou à la fin. Il indique le développement.
. . . Ko est la dernière syllabe de miyaka et signifie : former bloc, concentrer.
. . . To est la première syllabe de tokoro, emplacement. de togeru, accomplir, et de tomaru, s'arrêter. Il indique ce qui est complet et parfait, ce qui est sans faute, ce qui relie l'horizontal et le vertical, comme l'indique d'ailleurs la forme même du caractère avec lequel on l'écrit.
. . . S'il m'est permis de présenter une hypothèse tout à fait personnelle, mais qui cadrerait bien avec la métaphysique de Y. Wada, il ne serait pas impossible que ces dix " nombres ", interprétés comme ci-dessus, soient plutôt des numéros d'ordre correspondant aux stades successifs de la Création tels que les indique la Genèse shintô. Dans ce cas :
. . . Hi correspondrait à l'Absolu unique, Ame-no-minaka-nushi.
. . . Hu aux deux Musubi-kami, qui constituent la dualité originelle.
. . . Mi à l'union des forces représentées par ces deux Kami en la Puissance de création représentée par Izanagi et Izanami.
. . . Yo à la création du monde par Izanagi et Izanami.
. . . I à l'apparition de maîtres (Amaterasu-ô-mi-kami, Tsuki-yomi et Susano-wo) régnant sur les différentes parties de l'univers.
. . . Mu à la " consolidation " du monde par les Kami terrestres.
. . . Na et Ya à deux stades ou aspects de la croissance du monde, notamment la prise en charge de la Terre par les Kami célestes.
. . . Ko à l'union finale entre les Puissances célestes et les Puissances terrestres grâce à des mariages successifs.
. . . To à l'univers achevé.
. . . Divers savants, théologiens et mystiques ont proposé pour l'incantation d'Ame-no-uzume d'autres interprétations ésotériques...

p. 218
. . . Selon l'Iyo-fudoki, " lorsqu'Ame-no-kagu-yama descendit du Ciel [pour aller] en Yamato, il se brisa en deux morceaux, dont l'un arriva en Yamato (et devint le Céleste Mont Kagu), tandis que l'autre arriva en Iyo (Ehime-ken) et devint l'Ame-yama. Selon le grand ésotériste K. Ôuë, d'une façon générale, le nom Kagu-yama signifie " la montagne parfumée ", et dans ce cas le " parfum " provient de nombreux feux qui ont été allumés sur la montagne au cours de cérémonies religieuses, conformément aux traditions locales. Le Kagu-yama est, par conséquent, l'un des Kami-nari, c'est-à-dire un lieu naturel sacré où les Kami normalement résident ou descendent. Il s'en suit que tout animal, plante ou terre provenant de cette montagne est considéré comme susceptible d'exercer une influence sur les Kami...

p. 268
. . . ...le corbeau à trois pattes, Yatagarasu, guida l'empereur Jimmu-tennô dans la partie décisive de sa campagne...
. . . On explique généralement que le nom Yatagarasu signifie le corbeau de Huit [envergures], mais il ne serait pas exclu que la présence du chiffre 8 ait la même signification que nous lui avons attribuée dans le nom du Miroir d'Amaterasu-ô-mi-kami, et dans ce cas Yatagarasu signifierait " le Corbeau divin ".
. . . Divers savants occidentaux ont voulu voir dans le mythe de Yatagarasu une transposition du mythe chinois du corbeau à trois pattes, parfois rouge, qui est un symbole du Soleil...
. . . En dehors même de ces exemples, il n'y a pas de doute que Yatagarasu est au centre d'un important culte ésotérique ; certaines écoles le considèrent comme " un grand maître d'ésotérisme (K. Ôuë)" qui a pu prendre la forme d'un corbeau, bien qu'en réalité sa nature ait été tout autre. On a beaucoup écrit sur le symbolisme de son anatomie. Certains auteurs estiment qu'il a trois pattes " parce qu'il est un messager du Soleil (Amaterasu-ô-mi-kami) " et que la patte centrale représente la rectitude... (validité d'un contrat, même en l'absence de témoins).

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