Aux sources du Japon, le Shintô
de Jean Herbert

p. 144-151

. . . On peut supposer que les prières utilisées pendant le misogi-haraï sont en rapports avec ce que l'école du Yamakage appelle " la purification du corps astral ". Celle que l'on utilise le plus fréquemment est le Misogi-haraï-no-kotoba, dont le texte peut se traduire à peu près comme suit :
. . . " Ô Izanagi-no-ô-kami, Toi qui inspires une terreur sacrée, lorsque tu as pratiqué le misogi-haraï, face au soleil, dans la plaine couverte d'arbres verdoyants à l'embouchure d'un fleuve (ou bien à Awagihara de Tachibana-no-odo, à Himuka dans la province de Tsukushi), les grands Kami de la Purification, Haraë-do-no-kami, sont apparus. Octroie-nous la purification de toutes les sortes de péchés, d'actions blâmables et de pollutions. Fais que les Kami célestes, les Kami terrestres et les quatre-vingts augustes myriades de Kami, tous ensemble, nous octroient la purification. Je t'en prie, écoute-moi et parle augustement, augustement. "
. . . Pendant le mitama-shizume, il est normal de pratiquer quelque sorte de méditation ou de concentration, mais il semble que le choix en soit laissé à l'intéressé.
. . . A l'opposé des hindous, qui prennent le plus grand soin de faciliter la méditation autant que possible pour qu'elle soit plus efficace (Cf. Jean Herbert, Comment se préparer à la méditation, Lyon, Derain, 1943), les shintôistes ardents cherchent à se placer dans les conditions les plus ardues ; ils méditent volontiers dans les positions les moins confortables, fort légèrement vêtus dans l'air glacé, nus après un bain dans l'eau très froide et sans s'être séchés, alors que le corps frissonne et que la peau tourne au bleu ou au vert.
. . . En d'autres occasions néanmoins, la méditation peut être pratiquée dans les temples, soit dans la salle de prières (haïden), soit, pour les prêtres, dans un bâtiment spécial (saïken). Le gùji de l'Izumo-ô-yashiro a pour lui seul, dans la maison de la famille Senge, une " hutte de paille ", l'ô-hido-koro où il pratique le mu (rien) -nen (vague de pensée), la libération de toute pensée, l'impassibilité. Mais la méthode qu'il emploie reste un secret absolu qu'il ne communique qu'à son successeur.
. . . On emploie parfois des expressions fort imagées pour désigner l'ouverture du moi intérieur à des puissances supérieures. On dit qu'après avoir " régularisé à la fois la respiration et la conscience, les " yeux du coeur " doivent être ' mis au point ' (au sens où l'on dit que l'objectif d'un appareil photographique est mis au point), que les 'oreilles ' du corps et du coeur doivent rester 'ouvertes pour assurer une bonne reception des fortes vagues spirituelles ', que l'on doit toujours ' faire vibrer... les cordes du coeur qui visent à une élévation de l'esprit ', etc. (Kikumaro Ôuë). Toutes expressions d'ailleurs qui ne sont pas sans rappeler le langage des mystiques chrétiens...
. . . Il existe naturellement d'innonbrables écoles de recherche spirituelle, dont chacune possède ses propres techniques. Dans l'une d'entre elles, le Masumi-shuyo-kaï, les disciples sont appelés à « rêver des rêves divins » (shimmu), au cours desquels ils pénètrent dans le yukaï, un « monde de l'au-delà », très difficile à percevoir, distinct à la fois du monde humain (genkaï) et du monde divin (shinkaï) ; là ils sont censés « comprendre la descente du Divin sur la terre » (tenson-kôrin) et il faut reconnaître que dans cet état ils prophétisent de façon fort impressionnante.
. . . Les personnes qui veulent se faire initier au gyô shinto (misogi, haraï, mitama-furi ou mitama-shizume) doivent être guidées par des instructeurs (oshi ou sendatsu), que l'on trouve généralement aux lieux où se pratiquent ces disciplines ; ils ont parfois une grande maison (saïkan) où leurs élèves peuvent habiter et obtenir la nourriture appropriée, une grande salle de bains (ô-furo) pour le misogi et tout ce qui est nécessaire. Dans la plupart des cas, les oshi sont des prêtres ou des membres de familles héréditaires de prêtres (shake) du temple le plus voisin. L'un d'eux peut être le « principal instructeur », oshi-no-iye-moto.
. . . Comme nous l'avons indiqué, le but final du misogi-haraï consiste à pacifier l'âme ; c'est ce qu'on appelle de divers noms, mitama-shizume, tama-furi, mitama-furi, chin-kôn, qui tous d'ailleurs peuvent s'écrire avec les mêmes idéogrammes chinois (Shigeyoshi Aoyama).
. . . D'après le Tyô-no-gigeï, qui date de la période Heïan, le mot chin-kôn vient de chin, pacifier, et de yû-kôn, un esprit mouvant ; il signifie par conséquent « appeler l'âme (tama) qui se meut et toujours s'en va pour qu'elle apporte la paix dans le corps, jusqu'au centre même de nos entrailles (Ibid) ».
. . . Selon certaines écoles, le mitama-shizume peut se proposer sept buts distincts :
. . . a) pacifier l'âme des êtres vivants, y compris la sienne ;
. . . b) obtenir la guérison de maladies physiques chez soi-même et chez autrui ;
. . . c) pacifier l'âme des morts, en rectifiant ce qu'ils ont pu commettre de mal pendant leur vie ;
. . . d) purifier les âmes des morts dans cette précision ;
. . . e) unir aux Kami les âmes des vivants et des morts (dans le mitama-shizume de l'Iso-no-kami-jingù, on s'efforce tout particulièrement « de communiquer de la vigueur et de l'énergie vitale aux âmes qui quittent leur corps ou sont sur le point de le quitter ») ;
. . . j) promouvoir le développement de la vie (ou de l'âme) de l'Etat ;
. . . g) permettre à l'âme de l'Empereur d'accroître sa longévité et sa puissance et permettre aux actes de l'Empereur d'être parfaits (Kikumaro Ôuë).
. . . On peut aussi distinguer entre le mitama-shizume que l'on fait pour soi-même (jishu-chin-kôn) et celui que l'on fait pour la communauté à laquelle on appartient ; il est souligné que l'on ne doit pas trop insister sur le premier (Ibid). D'ailleurs cette « communauté » peut embrasser l'ensemble de l'humanité et même le monde entier des êtres animés et inanimés. À cette fin, l'on adresse souvent des prières et des bénédictions vers les quatre points cardinaux l'un après l'autre.
. . . Décrit d'une autre façon, le but principal du mitama-shizume personnel est de rassembler et d'unifier tout ce qui concourt à former notre personnalité. L'intuition et l'inspiration doivent naturellement être intensifiées, ainsi que la sagesse, la paix intérieure, la compassion, la propreté, la joie sereine, l'honnêteté, etc., mais c'est là un résultat secondaire, un « sous-produit », ce n'est pas l'essentiel. Des visions, des pouvoirs de clairvoyance et de prophéties et divers autres phénomènes psychiques se présentent aussi normalement et ne constituent une entrave à de nouveaux progrès que si l'on s'y attache. Le cœur et l'esprit doivent être tous deux purifiés et mis en complète harmonie l'un avec l'autre (Kikumaro Ôuë). Chikao Fujisawa donne la description suivante du Chinkôn-saï, la grande cérémonie de chin-kôn : « Cérémonie ritualiste de pacification de l'âme, méta-technique ésotérique (comparable au yoga) capable de réintégrer l'état mental divisé en une harmonie dynamique. »
. . . Le tama-furi, tel qu'il est pratiqué à l'Iso-no-kami-jingû, vise à « rattacher à notre propre être une grande âme venue d'un monde supérieur (Takama-no-hara), un gaï-raï-kôn, qui a de la force et de l'énergie » et qui peut nous en donner ; dans ce contexte furi (= furu) aurait son sens essentiel, mais depuis longtemps oublié, d'« attacher ». Selon le gûji actuel, M. Shigeyoshi Aoyama, à l'origine ce tama-furi constituait à lui seul la totalité des cérémonies shinto, avant même que le mot Shinto ne fût inventé. Il embrassait la totalité de ce qu'on appelle maintenant tama, mono, kami, mo, furu, kagura, asobi, fuyu, tamaki-haru, matsuri, etc., mais puisque nous ne disposons pas de textes remontant à cette époque, il est difficile de préciser la forme que prenait alors le tama-furi. En se liant ainsi à l'homme, le gaï-raï- kôn engendre de l'énergie vitale, musubi. D'après la tradition, le premier tama-furi qui ait été fait pour autrui est celui que célébra Umashi-maji-no-mikoto, fils de Nigi-haya-hi-no-mikoto, en l'honneur de Jimmu-tennô et de son épouse (Kojiki. II. I..) ; c'est l'origine du chinkôn-saï impérial célébré dans le palais impérial et à l'Iso-no-kami-jingû. Selon Yokinobu Shiroyama (Président du Masumi-shuyô-kaï), le chin-kôn doit même avoir été pratiqué avant que le Kojiki ait été rédigé, « sans quoi ce dernier n'aurait pas pu être composé ».
. . . Selon diverses écoles, et en particulier l'école Yamakage, le mitama-shizume doit se pratiquer successivement en cinq endroits différents :
. . . a) dans un jinja ;
. . . b) dans une maison privée qui a sanctuaire (honden) et chambre de prière (haïden) ;
. . . c) dans une salle (dôjo) réservée aux exercices spirituels ;
. . . d) dans un temple spécial (hôjin) de secte shintô ;
. . . e) soit sur une montagne, soit dans un champ au pied d'un arbre (Kikumaro Ouë).
. . . Au Kashima-jingù, le mitama-shizume, « en style de matsuri », comprend :
. . . a) la récitation du misogi-norito ;
. . . b) le misogi (bain) ;
. . . c) la prise de vêtements propres et l'offrande de nourriture (shinsen) au Kami ;
. . . d) la récitation de l'ô-haraï-norito ;
. . . e) le mitama-shizume à proprement parler (en particulier les exercices respiratoires que nous avons décrits) ;
. . . f) le kagura-uta dans le style d'Ise.
. . . Un type très ancien et très spécial de tama-furi est l', dont le nom signifie paralysie, dessiccation (comme une fleur qui se fane). Pendant le processus de l' se produit d'ailleurs à un moment une certaine paralysie, où l'homme doit se sentir parfaitement en paix, « attendant sa résurrection ». C'est un genre de rejuvénation, de résurrection. On emploie aussi parfois le terme de mono-imi. Certains mitama disparaissent, meurent, et de nouveaux mitama viennent s'y substituer. L' est encore pratiqué, notamment à l'Oè-jinja et à l'iso-no-kami-jingû (Nobuo Origuchi). M. Shigeyoshi Aoyama pense que la mort des trois frères aînés de Jimmu-tennô correspond à autant d' par lesquels le grand Empereur aurait passé, mais cette interprétation paraît fort peu connue.
. . . D'après Kikumaro Ôuë, qui est un maître de mitama-shizume, on rencontre aux stades les plus avancés « un mur de conscience de dimensions différentes », la conscience mystique. La plupart des pratiquants s'arrêtent là, mais il est possible d'aller plus loin. On peut alors « transpercer et maîtriser les murailles du temps et de l'espace ». Après quoi vient l'aurore, de couleur rose orangé (certains disent bleu clair), où tous les Kami disparaissent. Enfin l'on atteint la conscience divine, couleur de perle ou d'éclair, et l'on devient « de l'essence du Kami ». Selon M. Shigeyoshi Aoyama, le plus important est que le pratiquant « sent très nettement qu'il reçoit dans ses mains le mitama du Kami ».
. . . Un observateur occidental (Percival Lowell) a pu constater que pendant la durée de l'extase « le pouls est pratiquement oblitéré ».
. . . Pour certaines écoles mystiques, le mitama-shizume personnel peut être considéré comme réussi lorsqu'on est arrivé tout près d'Ame-no-minaka-nushi, le « Kami universel », c'est-à-dire lorsque s'efface toute distinction entre soi-même et autrui, lorsque les autres hommes, la famille, la société, l'État, la Nature, l'univers tout entier, se sont identifiés à nous. A l'appui de l'assertion selon laquelle cette conscience de l'unité est traditionnelle chez les Japonais, on rappelle que le mot ware, qui signifie moi est encore employé dans les campagnes au sens de « vous ». L'unité « verticale » est ainsi réalisée entre les Kami, les ancêtres humains, soi-même et la postérité. Et il est par conséquent tout naturel que l'aspect social « émerge », même dans le mitama-shizume que l'on fait en premier lieu pour soi-même (Kikumaro Ôuë).

. . . Si le Shinto n'a guère de rapports directs avec l'éthique telle que nous la connaissons, il en a par contre de très étroits avecl'esthétique. « Pureté et beauté vont toujours de pair », relevait fort pertinemment E. V. Gatenby. Yoshiyuki Noda soulignait devant moi la nécessité de « maintenir dans le monde l'ordre esthétique » et le fait que « tout ce qui compromet cet ordre esthétique est par là même impur ».
. . . Dans leur simplicité raffinée, les temples shinto sont des œuvres de beauté.
. . . Les manifestations artistiques font intégralement partie de presque toute cérémonie shinto : expositions d'arrangements floraux, danses sacrées, représentations théâtrales, concours de chant ou de poésie. Et il ne faut pas y voir uniquement des offrandes aux Kami, leur qualité témoigne également des rapports étroits que voient entre beauté et religion ceux qui les apportent. A l'Udo-jingû, pour ne prendre qu'un exemple, il y a chaque année entre deux villages un concours de chant pour savoir lequel des deux offrira au Kami les premiers épis de riz pendant le reï-saï ; et le village gagnant aura sûrement une meilleure récolte que son concurrent.
. . . Certains des trésors les plus précieux de l'art japonais sont conservés dans des temples shinto, et si parfois c'est pour leur caractère religieux, c'est bien plus souvent pour leur seule valeur artistique. Leur contemplation doit aider le fidèle à accéder à un niveau de conscience plus élevé.
. . . Les rapports entre l'art et la religion sont encore beaucoup plus étroits qu'il ne résulte de ce qui précède. Tous deux cherchent à « saisir les choses telles qu'elles sont » et exigent par conséquent une parfaite paix de l'esprit (Hideo Kishimoto). Par conséquent, l'effort requis pour les deux doit être très semblable ; dans les deux cas il doit être conscient, méthodique et acharné pour parvenir à la perfection. Or, pour les Japonais, lorsqu'un homme est parvenu à un haut degré de perfection dans un domaine quelconque, si insignifiant soit-il, il est arrivé à ce même degré dans la Perfection tout court. Ainsi le musicien qui peut tirer de son instrument un son « parfait », le calligraphe qui peut tracer un idéogramme « parfait », l'homme qui peut exécuter un geste « parfait » doit nécessairement être un homme « parfait », un saint. Inversement, le shintôiste qui est parvenu à un niveau élevé d'illumination spirituelle doit être capable de produire des chefs-d'œuvre artistiques. Et en fait, tout comme les artistes japonais — en dehors des écoles inspirées de l'Occident — sont profondément religieux, la plupart des prêtres shinto — à l'exception de certains dans la plus jeune génération — ne sont pas seulement capables d'apprécier intensément les valeurs artistiques, ils sont aussi des artistes créateurs, que ce soit dans la musique, la calligraphie, la poésie ou la cérémonie du thé.
. . . Akira Nakanishi a commenté comme suit le paragraphe précédent : « Le véritable itsu (ou utsu)-kushi-bi, c'est-à-dire l'esprit spirituel, perçant, pénétrant, implique pour le Japonais à la fois la beauté (utsu-kushii) et la bonté (itsu-kushimi). L'individu qui est engagé sur le kannagara-no-michi doit tout naturellement à la fois être un artiste et se comporter moralement. Comme la source de la création et de la beauté est directement et infiniment reliée à la lumière (mi-itsu) du Kami (du point de vue de musubi), il existe dans les communautés japonaises une coutume traditionnelle selon laquelle il faut faire des compétitions artistiques ou sportives dans les temples ou devant les bun-reï des Kami (c'est-à-dire devant les temples-filiales ou les châsses portatives (mikoshi) où les Kami ont été invités à descendre également). »

p. 185 extrait
. . . ...le temple shintô peut couvrir une superficie aussi vaste que celle d'un petit village (le Kirishima-jigù a probalement plus de mille hectares) et il peut aussi avoir les dimensions d'une ruche d'abeilles (hokora)...
. . . Il faudrait évidemment plusieurs volumes pour décrire, même brièvement, les ornements, le mobilier (saikigu) et tous les ustensiles qui sont utilisés dans un temple shintô. Nous n'en mentionnerons que quelques-uns, à titre d'exemple...
. . . Un... article intéressant est le hassoku-an, table à huit pieds utilisées surtout pour recevoir les offrandes (heïhaku) faites au Kami ; elle est généralement en bois de hinoki. Elle porte toute une série de noms variès selon sa hauteur, la forme de ses pieds, etc. D'après les ésotéristes, les pieds doivent être de section carrée, mais les faces des quatre pieds extérieurs doivent être parallèles aux côtés du plateau, tandis que celles des quatre pieds intermédiaires doivent faire un angle de 45° avec les côtés du plateau - ce qui pourrait être en rapports avec la théorie chinoise des points cardinaux et des points intermédiaires (?) (Kikumaro Ôuë) - mais on ne trouve que fort rarement des tables répondant à ces conditions...

p. 230 extrait
. . . De tous les insignes de la prêtrise, celui qui est le plus difficile à apprécier pour des observateurs étrangers est une sorte de sceptre plat en bois appelé shaku. Lorsque le prêtre porte des vêtements sacerdotaux, il a toujours son shaku soit en main, soit glissé dans sa ceinture...
. . . Jadis, le shaku n'était porté que par les prêtres et autres fonctionnaires de très haut rang ; il pouvait être en ivoire, en ébène, en bois d'if, de chêne (kashi) ou de hinoki ; ce dernier est la matière première toujours utilisée de nos jours (Nobuo Fujioka et Kikumaro Ôuë)...
. . . J'avoue avoir acceuilli avec un certain scepticisme l'affirmation selon laquelle le shaku tient chaud aux mains (lors de températures très négatives)...
. . . La façon dont les prêtres tiennent et manient le shaku quand ils officient est minutieusement réglée par un rituel rigoureux strictement observé...
. . . D'après l'opinion unanime des plus grands gûji du Kansaï, " tenir le shaku est en soi une purification, et le prêtre en est transformé "...
. . . L'importance attribuée au shaku et à son utilisation laisse évidement supposer qu'il répond à un symbolisme profond...
. . . Je dois à un éminent représentant d'une grande école ésotérique, M. Kikumaro Ôuë, l'interprétation suivante, dont je ne sais si elle est acceptée par les autres groupes ésotériques. Selon lui, le shaku représente à la fois le macrocosme et le microcosme et constitue par conséquent le symbole de leur identité. Sa partie supérieure symbolise à la fois le ciel et la tête de l'homme ; la courbe doit en être celle du crâne de son porteur. Sa partie inférieure symbolise à la fois la terre et le pied de l'homme ; la courbe doit être celle du talon de son porteur. Il doit avoir pour longueur la distance qui sépare le coude de la dernière articulation du médius de la main droite. Celui qui l'utilise doit la tailler lui-même dans un bois rond et le polir lui-même.
. . . A l'Izumo-ô-yashiro, les prêtres font avec l'ongle une marque sur leur shaku toutes les fois qu'ils pénètrent dans l'ô-hido--koro.
. . . Dans les occasions très solennelles, le shaku est remplacé par le hiôgi, fait de fines lamelles de hinoki liées avec du fil. Les prêtresses emploient un modèle différent, l'akomeôgi, aux couleurs très vives (Basic Terms of Shintô, op. cit.).

p. 235 Symbolisme et Cultes individuels
. . . Ainsi que nous l'avons déjà relevé, tout Japonais, homme, femme ou enfant, a un sens profond et continu de ses liens directs avec ses ancêtres divins et humains, et y attache une importance primordiale. On pourrait dire que le Shintô est l'art et la science de maintenir ces rapports vivants, harmonieux et fructueux. Aussi le ritualisme et le culte jouent-ils un rôle considérable dans la vie quotidienne, tant au jinja que devant l'autel familial (kami-dana) et en bien d'autres circonstances. " Les rites sont importants, dit un théologien moderne, parce qu'ils nous permettent de comprendre la volonté du Kami. A cette fin, les norito nous donnent la paix (Sokyô Ono)" et, ajoute un autre, " aussi la vitalité fondamentale (Akira Nakanishi)"...
. . . Les Japonais sont très sensibles aux couleurs, et sentent en elles " des significations particulièrement délicates dépassant ce que l'homme est capable de décrire (Akira Nakanishi)"... Quoiqu'il en soit, certaines écoles shintôistes possèdent des explications fort complètes et détaillées de la signification ésotérique des couleurs. Le tableau offert par le Yamakage-shintô-kyô à ses initiés, mais à peu près inconnu dans d'autres milieux, est le suivant :

Noir (kuro)
Violet (murasaki)
Nord Ara-mitama Primitif, origine, paradis.
Bleu ou vert (ao) Est Kushi-mitama Vie, création.
Rouge (aka) Sud Sachi-mitama Harmonie et expansion.
Blanc (shiro) Ouest Nigi-mitama Intégration et propulsion.
Jaune (ki) Centre Nao-hi (rayons du soleil) Créateur, unité.

. . . Pour le Ryôbu-Shintô, les Kami correspondant aux diverses couleurs et directions sont les suivants :

Nord : (Kontaï-kon-ryô-) ame-no-hiwashi-ara-bi-mitama-no-ô-kami ; mais ce Kami est aussi en rapports avec le jaune d'or, car on le considère comme le " corps d'or ", l' " esprit d'or ", l' " aigle solaire ", hi-washi.
Est : (Koku-ryô-ten-kushi-) bi-mitama-no-ô-kami, l' " esprit noir ", " parce que vert + bleu = noir ".
Sud : (Shirataka-ten-ryô-) nigi-bi-mitama-no-ô-kami, le " vautour blanc ", l' " esprit qui vole dans le ciel ".
Ouest : (Koku-ryô-ten-kushi-) bi-mitama-no-ô-kami, l' " esprit noir ", " parce que vert + bleu = noir ".
Centre : Ame-no-minaka-nushi-no-kami.

p. 277
. . . En plus des cultes quotidiens... il se célèbre périodiquement dans tout temple shintô de grandes fêtes solennelles appelées matsuri...
. . . Dans sa véritable signification profonde, matsuri, c'est " vivre dans une attitude constante de prière et d'obéissance à la volonté du Kami, et par conséquent sous sa protection, que nous devons demander dans la prière (Takanobu Senge).
. . . .../...
. . . Les mystiques shintô affirment catégoriquement que pendant qu'il repose... dans le heïden sur les tables à huit pieds, le shinsen (l'offrande d'aliments) reçoit des rayons émanant du Kami et que l'adorateur, s'il est parvenu au niveau de conscience approprié, peut voir ces rayons, qui ressemblent à des éclairs ; le shinsen devient ainsi une sorte de bun-reï (Kikumaro Ôuë)...
. . . Après que le shinsen a été offert au Kami, il est ramené du heïden au shinsen-den (cuisine) avec le même cérémonial. Il est de coutume que soit alors servi aux prêtres et à quelques laïcs un repas (naoraï) où l'on consomme les nourritures et boissons ainsi consacrées...
. . . Il va s'en dire que le repas de naoraï, naoraï-shiki, a une valeur mystique, tout comme la communion chrétienne. Par lui, le fidèle est investi du " prestige " (mi-itsu) du Kami. Et le caractère très exceptionnel de ces aliments est prouvé par le goût particulièrement doux que prend le sake après qu'il a été offert au Kami (Kikumaro Ôuë) - phénomène comparable à ce qui se produit dans l'Inde pour les aliments qui ont été offerts à Krishna. Comme l'exposait fort clairement Takanobu Senge, " lorsque les fidèles consomment le sake et les aliments qui ont été offerts au Kami et acceptés par lui, cela signifie qu'ils reviennent corporellement à leur propre état spirituel en Dieu ; tout comme le tamagushi correspond à un retour mental à Dieu, le naoraï correspond à un retour corporel à Dieu ".

p. 303
. . . ...un des matsuri les plus importants destinés spécifiquement à la purification...
. . . Dans la première partie de février, à peu près tous les temples du Japon célèbrent le Setsubun, sans doute le plus intéréssant de tous. Les setsubun sont les jours qui marquent respectivement les coupures entre les quatre saisons, mais on appelle généralement setsubun tout court celui qui est à la veille du printemps. Les setsubun ne se situent pas toujours à la même date en raison de la division de l'année en 24 " soufflles " (nijûshi-ki). Le setsubun de printemps marque la fin du shôkan (saison du " petit froid ") et la veille du risshun, naissance du printemps, bien qu'en réalité ce soit le début du " grand froid ".
. . . Le Yamakage-shintô-kyô (un des groupes shintô les plus traditionnels) fête le Setsubun au Misogi-no-miya, temple fort ésotérique qui se trouve à Ise, mais est indépendant de l'Ise-jingû et n'est pas affilié au Jinja-honchô ; il fut fondé en 1925 pour remplacer l'ancien Haraï-no-miya, supprimé lors de la Réforme Meïji. Officiants et participants voient dans ce Setsubun une simple réflexion du Setsubun divin que les Kami célèbrent en même temps dans la Plaine des Hauts Cieux, Takama-no-hara (Il offre en cela une curieuse ressemblance avec la Râsa-lîlâ célébrée dans l'Inde par les adorateurs de Krishna. Cf. Jean Herbert, Spiritualité hindoue). La veille au coucher du soleil, on " purifie " les âmes des ancêtres. Pour cela, on allume, selon les anciens rites, une pile de bois carrée au centre de laquelle a été ménagé un grand espace vide. Dans cet espace on jette des tablettes de bois longues d'environ 25 cm, une pour chaque ancêtre, portant le nom de l'ancêtre, le voeu du donateur et un signe magique dont la signification semble être oubliée (?). Des prêtres lisent les inscriptions avant de jeter les tablettes dans le feu. La cérémonie se termine vers les 11 heures du soir.
. . . A minuit commence le Hô-heï-shiki, qui est le Setsubun à proprement parler. Chaque personne qui y assiste a reçu une petite " poupée " (hito-gata) d'environ 20 cm, faite en fibre de hinoki. Dans la poitrine de la " poupée " a été insérée une feuille rouge prise à l'extrème pointe d'une branchette de nanten (le nandin, une espèce de bambou sacré) et qui était dirigée très exactement vers le Sud (on utilise même une boussole pour éviter tout risque d'erreur). Sur cette feuille sont inscrits le nom et les désirs de la personne qui offre le hito-gata, et " l'âme " de cette personne est invitée à y entrer. On offre ensuite au Kami du shinsen, les hito-gata. Musique vocale et orchestrale et danses sacrées (kagura) forment les offrandes suivantes. Le gûji du Misogi-no-miya chante un norito et le Président du Yamakage-shintô-kyô chante l'Ô-haraï-norito. Suit une danse de l'épée, le tachi-baraï (haraï de l'épée) dans le style de l'école du Kashima-shintô.
. . . Après quoi, devant le honden on allume un feu avec 64 baguettes de bois, trois pieds au-dessous du goheï purificateur et le Président du Yamakage-shintô-kyô y jette, un à un, les hito-gata. Il commence par un, fait par lui-même, qui représente l'Empereur. Avant qu'il brûle chaque hito-gata, il reçoit une inspiration et sait de quoi souffre l'intéressé. Il est admis que cette cérémonie assure une protection totale à ceux qui y prennent part (Kikumaro Ôuë)...

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